Amor fati amor fati amor fati | Newsletter #14
Quand je n'ai plus d'humour ni de résilience, j'ai une formule presque magique pour tenir le coup en attendant que ça aille mieux
Je marche dans les rues environnant la gare de Lyon Pardieu aux côtés de mon compagnon. Nous cherchons un endroit ouvert où manger, main dans la main. Il est 22h, un dimanche soir de canicule. Nous descendons d’un train et nous levons très tôt le lendemain pour en prendre un autre. Je suis vidée de mon énergie. Comment font les gens pour vivre bien dans ces rues où tout est haut, où tout est minéral, où rien ne vient ressourcer le regard ? Dans cette ville et dans toutes les autres, des milliards d’humains privés de terre et d’eau.
Je suis allongée sur mon lit, chez moi, dans la pénombre. Dehors il fait jour beaucoup trop fort. Notre chambre est le sous niveau du sol, il y fait moins chaud que dans les autres pièces. Je n’ai envie de rien, je n’ai la force de rien et je me demande si c’est à cause d’un syndrome prémenstruel ou à cause du monde qui s’effondre. J’essaie d’écouter un livre audio, mais je m’endors sans cesse et rate des passages. Est-ce que demain ça ira mieux ?
Sur une terrasse, en famille. Nous attendons à l’ombre que l’heure de notre film arrive, pour passer de la protection du parasol à celle d’une salle de cinéma. Mon mari parle au jeune homme de la table d’à côté, qui a recueilli un oisillon. Nous avons par le passé plusieurs fois pris soin d’oisillons trouvés dans notre grenier, et Loïc prodigue des conseils pour augmenter les chances de le maintenir en vie. Le tout petit moineau est dans une casquette rose, il ouvre et ferme lentement le bec.
J’ai lu en ligne sur le post d’un ingénieur agricole que les refuges étaient débordés par l’accueil d’oiseaux assommés par les fortes chaleurs.
Quand j’étais petite il y avait cette série romantique à la télé, qui s’appelait “Les Oiseaux se cachent pour mourir”.
La plupart du temps je me sens suffisamment bien. Ce qui me sauve c’est d’agir, même un tout petit peu, même lentement, même sans être sûre.
Mais parfois je ne peux pas agir parce que je n’ai plus d’énergie.
Et souvent je n’ai aucune idée de ce que je peux faire pour réduire la souffrance des oiseaux sous la canicule, des enfants sous les bombes, des proches dans la galère.
Je suis un peu comme un vélo qui tombe quand il n’avance plus.
Dans ces moments-là, je garde pour moi une pensée qui heureusement ne m’habite pas tous les jours : la vie humaine n’est pas un cadeau.
Mais si je ne peux adhérer à l’idée que la vie soit belle, je ne crois pas non plus qu’elle soit laide. Elle est, c’est tout, elle suit son cours, dans une suite de causes et de conséquences aussi logique que chaotique.
Alors vient un autre pilier qui m’aide à vivre : amor fati.
Des mots latins qui signifient “l’amour de la destinée”.
Quand je n’ai pas la force, pas l’idée, si je respire lentement et prononce “amor fati” autant de fois qu’il le faut pour écouter vraiment ces mots, je peux accepter ce qui est.
Pas accepter la souffrance sans vouloir la réduire, ça jamais.
Mais aimer ce qui est là, pour moi, maintenant, même si je ne l’ai pas choisi.
Arrêter le flux de ces pensées qui m’écrasent plus encore que la chaleur.
Me souvenir qu’il y eu avant des moments plus légers et qu’il y en aura d’autres après.
Après, il y aura peut-être une direction à prendre et de l’énergie pour pédaler. En attendant : amor fati.